Yetignan Awa Coulibaly, présidente de l’Association de Défense des Droits des Aides ménagères et Domestiques de Côted’Ivoire (ADDAD-CI) raconte le difficile travail mené par son organisation pour mettre en lumière la précarité du secteur et fait des recommandations. Interview!
Qu’est-ce qui a poussé ADDAD à s’engager sur la question des aides ménagères en Côte d’Ivoire ?
Les premières membres de cette association sont des travailleuses domestiques. La naissance de notre organisation est venue des aides ménagères elles-mêmes compte tenu de leur situation. Elles ont compris que personne d’autre ne peut défendre leurs dossiers et leurs préoccupations mieux qu’elles-mêmes. C’est ainsi que les aides ménagères ont décidé de se mettre ensemble et de faire entendre leur voix.
Et en plus de cela, nous nous sommes dit que notre situation, nous ne la vivons pas seules et tous les pays d’Afrique de l’ouest vivent cette même situation. Il fallait donc se mettre en réseau pour pouvoir mieux faire entendre notre voix. Aujourd’hui L’ADDAD est représenté dans 10 pays de l’Afrique de l’ouest.
Quel état des lieux dressez-vous de la situation des aides ménagères en Côte d’Ivoire?
A ce jour les droits des aides ménagères ne sont pas respectés parce qu’elles ne sont pas considérées en tant que des travailleuses. Et à côté du manque de respect auquel elles font face, les aides ménagères n’ont pas un suivi médical, elles ne sont pas déclarées à la CNPS or en tant qu’humain, nous avons droit à la santé et à l’épanouissement. Mais elles n’ont pas toutes ces choses jusqu’à présent. Aussi, concernant le smig en Côte d’Ivoire, qui est de 75 milles francs, il n’est pas respecté dans le secteur. Nous essayons donc d’adresser ces questions.
Comment ?
Aujourd’hui, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) est en train d’élaborer avec les différentes organisations de la société civile, une Convention dans laquelle nous allons pouvoir définir ce que nous attendons de l’Etat ivoirien. En effet, il n’y’a pas de loi à proprement dit en ce moment . La situation actuelle des aides ménagères est dégradante.
Dans la convention en cours, nous avons émis des conditions et des recommandations et aussi nous avons fait des propositions. Donc nous pensons qu’elle pourra régulariser les conditions des travailleurs. Sinon en dehors de cette Convention qui est en train d’être élaborée, il n’y’a pas de loi qui protège véritablement les travailleuses domestiques. En dehors de la guinée Conakry qui a pu ratifier la convention 189 de L’Organisation Internationale du Travail , aucun pays au niveau de l’Afrique de l’ouest n’a pu ratifier cette Convention.
Quelles sont les axes sur lesquels vous avez travaillé à ce jour ?
En termes de réalisation, nous avons fait des plaidoyers, organisé des fora pour pouvoir interpeller les autorités, nous avons installé l’ADDAD un peu partout, que ce soit à Man, à Daloa, à Agboville pour pouvoir permettre que cette lutte en Côte d’Ivoire prenne de l’ampleur. Nous participons parfois aux caravanes pour pouvoir interpeller les autorités ouest africaines avec nos sœurs de la sous-région car nous sommes membres d’une coalition d’organisations paysannes dans la sous-région .
Combien de travailleuses domestiques avez-vous suivi en Côte d’Ivoire ?
Nous avons accompagné des filles en termes de formation que ce soit sur leurs droits et leurs devoirs, nous avons formé plus 300 filles sur quelques attitudes à adopter au sein d’un ménage. Nous sommes en train d’accompagner 5 à 6 filles qui seront prises en charges et formées totalement par l’ADDAD en termes de pâtisserie et couture. Pendant la COVID, nous avons accompagné des filles avec des montants D’AGR « Activité Génératrice de Revenu » pour leur permettre de se prendre en charge et faire face à la covid.
Par ailleurs, nous avons mené des plaidoyers à travers l’organisation d’un forum en 2019 sur l’état des filles en termes de migration et d’exode rural . Ce forum a réuni près de 600 personnes ainsi que les institutions. Cette année, il y aura la caravane qui se fera très bientôt, nous préparons un documentaire qui va retracer l’histoire d’une aide-ménagère.
Quelle sont les difficultés que vous rencontrez ?
Ce sont d’abord les questions financières parce que nous voulons accompagner le maximum de filles en terme d’autonomisation, de formation parce que la plupart des patrons se plaignent de ce que les filles ne maîtrisent pas forcement le travail d’aide-ménagère. Et aujourd’hui nous sommes entrain de chercher des partenaires pour pouvoir les aider à se former. En second lieu, c’est la réticence de nos autorités à nous accompagner dans ce combat malgré toutes les actions que nous avons menées. La troisième difficulté est l’attitude des patrons auprès des employées domestiques. C’est difficile pour nous en tant qu’organisation d’accéder aux ménages. La quatrième, ce sont les accusations et critiques qui sont faites à l’endroit des travailleuses que nous constatons sur les réseaux sociaux un peu partout. Elles sont dénigrées de toute part. C’est la raison pour laquelle nous essayons de travailler avec des agences de placement pour formaliser le secteur.
Quelle sont vos plaidoyers en faveur des aides ménagères auprès des autorités ?
Notre plaidoyer auprès des différentes autorités est dans un premier temps, l’adoption d’une loi spécifique aux travailleuses domestiques parce qu’aujourd’hui on ne nous considère pas comme des travailleuses à part entière. À défaut des lois, que cette Convention que nous somme entrain d’élaborer aujourd’hui avec l’OIT puisse passer auprès de nos États, que nos États puissent valider cette Convention afin qu’on puisse la divulguer et la promulguer, pour que la population puisse respecter les droits des travailleurs domestiques.
Ensuite, il faut que la convention 189 de l’Organisation Internationale du Travail puisse être ratifier par la Côte d’Ivoire. Nous souhaitons que notre ministère de tutelle puisse accompagner les associations de travailleuses domestiques en offrant des places gratuites pour qu’elles puissent bénéficier des formations conformément au travail qu’elles font et leur permettre d’atteindre leur autonomisation.
Selon vous pourquoi il y’a encore des réticences pour faire accepter ou reconnaître le travail des aides ménagères ? Pensez-vous qu’il y’a un lien avec la conception patriarcale de la société ?
Le patriarcat peut être l’un des facteurs majeurs de cette décision car le système patriarcal aujourd’hui a envahi un peu notre société parce que ces dirigeants, ces décideurs, ces parlementaires sont nés d’un système patriarcal, ils sont aujourd’hui des dirigeants mais qu’est ce qui a changé ? La mentalité, la manière de penser, la manière de réagir n’a pas changé donc c’est normal que le patriarcat puisse être l’un des facteurs. C’est à travers les études et les enquêtes qu’aujourd’hui nous savons ce que les aides ménagères endurent. Avant le phénomène d’aide-ménagère était venu comment ? C’était soit de la mère, soit de la nièce ou soit de la cousine ce n’était pas que la fille quittait de chez elle et venait faire le travail d’aide-ménagère comme aujourd’hui on le constate un peu partout.
Comment avez-vous accueilli l’échec de la proposition de loi Adjaratou en faveur des filles de ménage ?
Si on part de l’année où la loi a essayé d’être votée à l’assemblée et a échoué en 2014, imaginez-vous que à cette époque la question de l’aide-ménagère n’avait pas atteint cette proportion. Il n’y avait pas assez d’études et de nombreuses associations autour des droits des travailleurs domestiques. Donc si je veux faire un pas en arrière c’est-à-dire notre combat doit aller au-delà de ce que nous voyons.
Que faire face au patriarcat pour la valorisation du travail ménager ?
Aujourd’hui si je me remets en question et je repars en arrière, je dirai que notre combat doit travailler à changer les mentalités, pour aider ces personnes ou dirigeants, la société civile à s’affranchir d’abord de ce système patriarcal qui voit le travail ménager comme un travail gratuit fait par les filles et les femmes. A ce moment là, on se dira que oui on peut espérer une loi en faveur des travailleuses domestiques.
Ainsi dans une loi à venir, on pourrait faire ressortir les failles de ce système patriarcal et faire comprendre aux députés que c’est vrai qu’avant dans la société la question d’aide-ménagère ou la question de la femme était censée être dans la maison sans compensation de quelque chose, mais aujourd’hui, les filles et les femmes sortent pour aller travailler dans les ménages afin de faire face aux phénomènes comme la pauvreté, le changement climatique, la mauvaise gestion des ressources naturelles , le mariage forcé et l’excision. Et nous combattons toutes ces choses aujourd’hui en disant que ce sont des phénomènes qui fragilisent l’économie nationale.
Quel est votre mot de fin ?
Nous voulons que les lecteurs retiennent que nous sommes une association engagée, dévouée, pour la cause des travailleuses domestiques en vue du respect de leurs droits, aussi à travers le réseau ADDAD nous ne baisserons pas les bras, nous nous battrons jusqu’à ce que notre cause puisse être entendue et que notre situation puisse véritablement changer. Nous continuerons à nous battre en vue de la ratification de la Convention 189 de l’Organisation internationale du travail en vue de l’adoption de cette convention qui pourra changer les conditions des travailleuses domestiques. Ce qu’il faut retenir principalement de L’ADDAD-CI est que nous sommes prêtes et ouvertes à tous ces travailleuses domestiques qui ont envie d’être formées et défendues quel que soit le problème juridique. Nous sommes vraiment engagées pour faire entendre notre voix et espérer un véritable changement. L’ADDAD-CI existe depuis près de 6 ans et continuera de se battre.
Réalisée par Ruth Assoko,
Lemediacitoyen.com
*Cette interview a été réalisée dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes en cote d’ivoire mise en œuvre par l’ONG opinion éclairée avec l’appui de la fondation for a Just Society en partenariat avec Amnesty International.
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