Emma ONEKEKOU est une activiste féministe lesbienne ivoirienne. A l’occasion de la Journée de la visibilité lesbienne célébrée ce 26 avril 2024, elle accepte de se confier à lemediacitoyen.com. Emma ONEKEKOU nous parle des discriminations que rencontrent des lesbiennes, y compris dans les espaces féministes. Elle revient aussi sur la nécessité de l’accès à la PMA. Interview sans langue de bois!
Emma ONEKEKOU, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs?
Je suis Emma ONEKEKOU, activiste féministe, maman, réalisatrice, blogueuse, écrivaine et une lesbienne noire africaine qui aime être qui elle est. Je suis également chargée de communication de la Pi7 (Plateforme Initiative des 7) et fondatrice du Collectif des Sans Noms, une association dont l’objectif est d’utiliser l’art comme outil de militantisme.
Aujourd’hui 26 avril 2024 est la Journée internationale de la visibilité lesbienne. Que renferme l’expression visibilité lesbienne ?
L’expression « visibilité lesbienne » évoque pour moi la reconnaissance et la représentation publiques des lesbiennes dans la société. Elle englobe également l’identification et l’affirmation en tant que lesbienne. En effet, nommer et revendiquer son identité lesbienne sont des actes politiques essentiels pour lutter contre l’invisibilité et l’oppression. En tant que femme aimant les femmes, je m’identifie comme lesbienne, car je crois que me nommer est un premier pas vers la transformation sociale. Je ne suis pas gay, je ne suis pas une minorité sexuelle, je suis une femme et je suis lesbienne, je vous invite à commencer à le dire.
Quelles sont les problématiques des lesbiennes sur lesquelles pensez-vous qu’on devrait se pencher ?
Toutes les vies lesbiennes ne sont pas uniformément marquées par la discrimination, la violence et les défis, mais il est indéniable que ces réalités font partie de notre expérience. Parmi les problématiques qui m’intéressent en ce moment, il y a la question de la discrimination en matière d’éducation et d’emploi à l’égard des lesbiennes présentant des caractéristiques masculines. De même, la question de la santé est primordiale pour moi, notamment en ce qui concerne l’accès aux soins adaptés et la reconnaissance des besoins spécifiques en matière de santé sexuelle et reproductive des lesbiennes. Les mariages forcés des lesbiennes sont souvent passés sous silence. La PMA demeure également une question qui me préoccupe, car si certaines femmes veulent avorter, d’autres femmes souhaitent bénéficier d’une assistance médicale pour procréer.
La reconnaissance des droits parentaux des couples lesbiens et des mères lesbiennes ainsi que la question du bien-être et de la santé mentale des militantes lesbiennes sont des sujets d’importance capitale. L’octroi de financement aux activistes lesbiennes indépendantes qui effectuent un travail formidable est également crucial.
De plus, la sanction des discours de haine et des menaces de mort envers les lesbiennes sur internet doit être une priorité. Je m’intéresse aussi à la place des lesbiennes dans les espaces féministes et comment les attitudes participent à les confiner encore à des problématiques lesbiennes, les excluant ainsi de tous les autres espaces où la question de leur sexualité n’est pas traitée.
Selon vous, les lesbiennes sont-elles suffisamment incluses dans le mouvement féministe en Côte d’Ivoire ?
Avant, j’aurais répondu à cette question en disant non. Aujourd’hui, je crois que j’ai pris beaucoup de recul par rapport à cette question. Le mouvement féministe n’appartient à personne. Est-ce pour autant que je nierai la lesbophobie au sein de ce mouvement ? Je dirais non, elle existe bel et bien, je la vis et je la sens dans les cercles auxquels j’appartiens. Mais comme ce mouvement n’appartient à personne, je reste là et j’occupe ma place dans ces espaces.
« Au sein du mouvement féministe, chaque groupe vient avec ses propres problématiques »
Au sein du mouvement féministe, chaque groupe vient avec ses propres problématiques, et une fois-là, on rencontre des sœurs, on crée un réseau, et nos combats sont aussi portés par les autres. Alors en tant que militantes lesbiennes, c’est à nous de venir dans ce mouvement avec nos problématiques et d’en parler aussi au sein du mouvement féministe. Personne ne prendra son téléphone pour nous dire vient qu’on fasse le mouvement féministe ensemble. Nous faisons partie de ce mouvement du moment où nous sommes féministes. Qu’il soit lesbophobe ou pas, nous en faisons partie, alors ce n’est pas à un groupe lesbophobe au sein de ce mouvement qu’il faut demander de nous inclure, c’est à nous de nous imposer à ce mouvement avec nos idées.
Toutefois, je ne vais pas nier que la majorité des féministes ivoiriennes, bien qu’elles soient conscientes de l’existence des lesbiennes, vont très peu ou presque pas les inviter à des activités ou à des espaces.
Les lesbiennes n’ont plus à attendre qu’on les invite. Je n’ai pas attendu qu’on m’invite, je me suis invitée, j’ai tissé des liens et je construis mon réseau. Nous devons aussi apprendre à faire le pas vers les autres, sortir de nos espaces. Apprenons à nous inviter, à prendre le micro et à dire à haute et intelligible voix : “Je suis militante féministe lesbienne”.
À cet effet, avez-vous une invitation particulière à l’endroit des féministes lesbiennes ?
Le simple fait d’entendre le mot “lesbienne”, même si on ne nous écoute pas, c’est déjà montrer que nous existons et le simple fait déjà d’exister, c’est énorme. Je nous invite aussi en tant que féministes lesbiennes à manifester un intérêt croissant pour d’autres sujets allant au-delà de notre identité sexuelle.
Cela pourrait également offrir aux autres la possibilité de nous entendre sur d’autres questions. Il nous faut occuper de plus en plus d’espaces et aussi faire le pas vers les autres. Il y a quelques années, Bénédicte Poupette Bailou me demandait pourquoi les lesbiennes restaient enfermées entre elles et n’ouvraient pas leur espace aux autres. J’ai justifié cela en parlant de la question de la sécurité des militantes. Je ne nie pas que la question de la sécurité est importante, mais je crois qu’elle nous éloigne de plus en plus des autres.
Il a fallu que je prenne le micro à Niamey et que je m’exprime en tant que lesbienne pour que Okri puisse avoir accès à certaines de nos réalités, alors que mon expérience a Niamey a été traumatisante au point de m’emmener à m’éloigner de ces espaces. Mais si je n’y étais pas est ce que Okri aurait eu conscience de certaines réalités et se serait positionné sur la question ? C’est sur internet que Carelle Laetitia m’a connue en tant que féministe lesbienne et qu’elle m’a invitée dans des espaces féministes ici en Côte d’Ivoire.
Nous devons nous affirmer encore plus. Les gens ne veulent pas nous inviter alors que nous devons nous faire entendre, alors qu’est-ce que nous faisons ? Aujourd’hui, toutes les activités de toutes les organisations féministes sont partagées sur les réseaux sociaux, que ce soit celles de la ligue, de Opinion Eclairée avec le média citoyen, de ORAF, de Minou libre et j’en passe… Il faut qu’on y aille, qu’on écoute, qu’on apprenne aussi des autres et si nous pouvons partager nos expériences, partageons-les. Sinon, personne ne viendra nous chercher si un sujet concernant les lesbiennes ne fait pas partie de leur agenda. Comme autre exemple, je pourrais citer l’atelier du Minou qui s’est fait dans un autre pays et une des participantes était lesbienne. C’était déjà bien qu’elle soit là, elle pourra rapporter les manquements afin qu’ils soient corrigés.
Que proposez-vous pour une meilleure inclusion des lesbiennes dans le mouvement féministe en Côte d’Ivoire en particulier et dans la vie sociale en général ?
Je pense qu’il faut déjà aimer les autres femmes avec qui elles n’ont pas en commun le phallus et arrêter de croire que les problématiques des femmes lesbiennes, LBTQ ne concerne que la communauté LGBTQ+. Il ne faut pas attendre qu’un bailleur vienne leur demander d’inclure les lesbiennes dans les programmes pour qu’elles le fassent, il faut une volonté profonde et sincère de se séparer de leur lesbophobie et voir ces femmes qui ne sont pas hétérosexuelles comme des êtres humains comme elles. Je pense que c’est déjà un bon début.
Beaucoup de féministes vous sortent que la carte de la question de l’orientation sexuelle est une question épineuse, je ne le pense pas. Je pense qu’elle est comme toutes les questions qui concernent les femmes. Je trouve même que la question de l’IVG et de l’excision sont des questions toutes aussi épineuses que la question de l’orientation sexuelle. Il faut juste accepter de reconnaitre que plusieurs refusent de prêter l’oreille ou de faire de la place aux lesbiennes juste parce qu’elles sont lesbophobes.
Avez-vous un message à ajouter ?
Je termine avec cette pensée de Chanceline qui dit : Nous faisons un peu l’erreur dans nos espaces de dire que les mouvements anti-droits attaquent de plus en plus les droits des personnes homosexuelles et donc les femmes sont en sécurité. Mais nous sommes vraiment en train de faire une énorme erreur parce que ces mouvements, quand ils commencent par gagner des victoires sur les droits des personnes homosexuelles, les femmes sont également en danger et nous commençons déjà à le voir”. Alors chères sœurs féministes, soit nous revoyons nos positions pour gagner ensemble des victoires, soit perdrons ensemble face au mouvement anti-droits.
Interview réalisée par De Laure Nesmon
lemediacitoyen.com
Interview réalisée dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes en Côte d’Ivoire dit campagne « Médiatisons les voix Féministes », initiée par l’Ong opinion Éclairée avec le soutien de la Foundation for Just Society et en partenariat avec Amnesty International Côte d’Ivoire.
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