Drogues. Le trafic est un défi auquel se heurtent plusieurs pays de la sous région. La Côte d’Ivoire déjà en proie à une forte prolifération de drogues est devenue en quelques années la plaque tournante de ce trafic. D’importantes saisies sont effectuées par les forces de l’ordre depuis 2021. Le milieu scolaire, lieu d’apprentissage s’en trouve fortement impacté. Les jeunes élèves exposés, sont de plus en plus la cible des narcotrafiquants.
Le 28 février 2024, trois individus habillés en tenue scolaire, sont interpellés avec des blocs de cannabis à Aboisso, 117 km à l’est d’Abidjan. Cette information qui a fait les choux gras des réseaux sociaux et de la presse locale, a surpris plus d’un. Pour bon nombre d’observateurs, elle traduit la triste réalité du phénomène de trafic de drogue en milieu scolaire en Côte d’Ivoire.
En 2022, plusieurs tonnes de cannabis, de cocaïnes et plus de 150 tonnes de Médicaments de qualité inférieure et falsifiés (MQIF) ont été saisies en Côte d’Ivoire. Ces saisies records montrent que le pays est devenu une destination de prédilection des trafiquants. Les jeunes particulièrement, les élèves sont les premiers exposés au trafic.
« C’est souvent aux alentours de l’école que les dealers développent ce commerce sordide, nocif et suicidaire » , s’est indigné Claude Kadio, président de l’Organisation des Parents d’Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire(OPEECI).
En effet, dans certaines rues et aux abords des écoles ( bars, maquis, bistrots), se développent des commerces illicites de drogues, souvent dans la plus grande discrétion. Dans une ruelle jouxtant son école, Ahmed, 17 ans, raconte avoir été accosté par des élèves. Ceux-ci lui aurait affirmé vendre de « la poudre » qui était en réalité la drogue. « choqué, j’ai feint de m’ y intéresser. Par la suite j’ai tout fait pour ne plus croiser leur chemin », a-t-il témoigné. Marc (Nom d’emprunt) alors élève au lycée municipal Djibo Soukalo de Bouaké, raconte sa rencontre avec des dealers: « Un jour alors que je revenais de l’école, j’ai été interpellé par des jeunes.
Ils m’ont posé ces questions: « façon tu te joues au dur là, est-ce que tu ne te « kpalo » ( drogues) pas ? Je leur ai dit non . Est-ce que tu « peux gérer les mouvements dans ton guetho ? » « En clair il m’ont proposé de l’argent et de la sécurité pour vendre de la drogue dans mon école (…) l’argent ne va plus te manquer et les filles ne pourront pas te résister . Dans ton école, plusieurs petits sont dans ce business », ont -ils tenté de me convaincre »
Marc reconnait avoir été accroché par cette proposition à cause de l’aspect pécuniaire mais après réflexion, il finira par décliner l’offre. Frédéric, élève à Abobo Pk 18, quant à lui, atteste que certains élèves de son école ont des fournisseurs chez qui ils s’approvisionnent . Puis viennent les vendre aux alentours de l’école au prix de 500 f ou 1000 f.« Certains de mes camarades en consomment » précise-t-il.
La vente et la consommation de drogue et des substances addictives( psychotropes)par les élèves prennent de plus en plus d’ampleur. De l’alcool au tabagisme, jusqu’aux drogues dures, les élèves se livrent à la consommation de tout types de drogues .
Les drogues addictives pour les élèves
A l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’abus et le trafic illicite de drogues en juin 2022, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, le Général Vagondo Diomandé, a indiqué que les drogues les plus courantes en Côte d’Ivoire sont le cannabis, les substances psychotropes, l’héroïne et la cocaïne.
Une enquête nationale pilotée par le Comité Interministériel de lutte Anti-Drogue (CILAD) intitulé ‘’ la consommation des substances psychoactives et la santé chez des élèves des écoles secondaires en Côte d’Ivoire, publié en 2017, a révélé plusieurs catégories de drogues auxquels sont dépendants les élèves.
Les résultats de cette étude ont montré que l’alcool, les produits du tabac ( cigarette, chicha), les substances psychotropes telles que les analgésiques sur ordonnance, les tranquillisants, sédatifs et le cannabis étaient les substances les plus couramment consommées par les élèves de 11e année ( classe de première)de la Côte d’Ivoire, en 2017.
Parmi ces élèves, selon l’étude certains avaient consommé une fois au moins dans leur vie la cocaïne, la morphine et l’héroïne. Des drogues réputées dangereuses en raison des conséquences graves liées à leur consommation.
De nos jours les jeunes élèves s’adonnent à la consommation des drogues telles que « Kadafi », la chicha, la boisson vody. «Kadafi » est un mélange composé d’alcool et de tramadol qui provoquent des malaises et des convulsions. Il a la faculté de mettre ceux qui en consomment dans un état second. Plusieurs vidéos postées sur internet en font largement l’illustration.
Pour ce qui est de la chicha , du tabac ingéré à l’aide d’une pipe à eau, elle apparaît pour les jeunes comme un effet de mode. Ceux -ci prennent d’assaut glaciers et bars pour fumer.
Pourtant, selon l’Oms le fumeur de la pipe à eau, et la personne exposée à la fumée passive provoquée par la pipe à eau, encourent les mêmes maladies pulmonaires, cardiovasculaires et cancers que le fumeur de cigarette.
Quand à la boisson vody , issue du mélange de vodka à la caféine, au sucre et à la dextrose provoque de sérieux troubles comportementaux .
A coté de cela les drogues injectables, faisant partie du trafic présentent une extrême dangerosité au regard du risque encouru pour la santé ( VIH, hépatite virale etc…).-
Une étude réalisée en 2019 par le programme National de lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie et d’autres addictions (PNLTA) a estimé à 1384 le nombre de jeunes consommateurs de drogues injectables dans les villes de Yamoussoukro, Bouaké et San Pedro.
La plus part des substances addictives sont interdites en Côte d’Ivoire et passible de sanctions pénales. Cependant, les consommateurs trouvent une parade pour s’en approprier.
Les incidences de l’usage de la drogue sur les élèves
L’usage de la drogue est perçu comme un véritable fléau qui gangrène l’école ivoirienne. « La drogue a un effet dévastateur sur le consommateur fragile qui devient accroc au point parfois de décrocher », a expliqué Claude Kadio, président de l’OPEECI. Les performances scolaires peuvent en être sérieusement impactées.
Les élèves accrocs à la consommation de la drogue s’enfoncent généralement dans un engrenage :les absences injustifiées, le désintéressement scolaire, l’échec scolaire, l’abandon total de scolarité.
Aussi, selon l’office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), dans son rapport publié en 2023, les jeunes sont les plus gravement touchés par les troubles liés à la consommation de drogues. Ce qui pose vraisemblablement un problème de santé publique. Les risques encourus en matière de santé mentale sont énormes : les tendances suicidaires, les troubles d’humeur, la folie, la mort suite à des overdoses sont le plus souvent mentionnés.
De plus, la consommation et la vente de drogues exposent au risque de violences physiques, de vol, d’agression et de crimes. Les élèves dealers sont eux même soumis au diktat des fournisseurs et se retrouvent parfois en danger. Ils encourent par ailleurs des peines de prison. Les trafiquants, eux sont passibles à des peines de 10 à 20 ans de prison et d’une amende de 5 à 50 millions de FCFA, lorsqu’ils sont appréhendés par les forces de l’ordre. Pour les usagers considérés comme des malades dépendants, eux sont passibles d’une peine d’emprisonnement de 3 mois.
La stratégie nationale face au trafic de stupéfiants
Les questions liées à la drogue étant transversales, elles touchent plusieurs secteurs. Ce qui a suscité la création d’un comité Interministériel de lutte anti-drogue (CILAD) composé de représentants de plusieurs ministères dont le ministère de l’éducation nationale.
Le CILAD définit la politique de lutte contre le trafic illicite et l’abus de drogue. Il est chargé de la coordination des actions des services de l’État et des organisations de la société civile impliquées dans la lutte.
L’Ong Clucod, Comité/club universitaire pour la lutte contre la drogue et autres pandémies dont le coordonnateur est Monsieur Tall Lancina intervient sur le volet prévention par la sensibilisation, prise en charge, réduction des risques et rédaction des plaidoyers en faveur de la lutte contre la drogue.
L’Etat a également instauré le programme National de la lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie et les autres additions (PNLTA) dont la stratégie est axée sur la prévention, la prise en charge médicale, la répression et la communication.
Les personnes souffrant de troubles liés à la consommation de la drogue, sont de ce fait, prises en charge par les structures sanitaires de premier contact ( CHU, clinique privées etc.) et des structures d’accueil comme le Centre d’accompagnement et de soin en addictologie ( CASA), la croix bleue etc.
La drogue en milieu scolaire est un problème de santé publique et sécuritaire. Elle affecte le bon fonctionnement de l’école et représente un danger pour la société. La sensibilisation demeure le moyen d’incitation pour emmener les jeunes élèves à changer de paradigme.
Victoire Kouamé
Lemediacitoyen.com
* Cet article est le deuxième épisode de notre DOSSIER/ DROGUE EN CÔTE D’IVOIRE , L’HEURE EST GRAVE. Le premier épisode porte sur l’addiction à la drogue « kadhafi » à Yopougon . Vous retrouverez également une production sur les efforts de l’Etat ivoirien.
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