La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, a perdu environ 80 % de son couvert forestier. C’est ce que note le programme onusien pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation REDD +. En cause, la culture intensive du cacao. Cela cause la destruction du couvert végétal, singulièrement la forêt dense humide. Avec ces sols plus fertiles, cette forêt intéresse particulièrement les paysans . L’exploitation abusive des essences forestières et la collecte de bois énergie ont accentué la pression sur le couvert végétal et la richesse des terres. Aujourd’hui, le changement climatique menace la culture du cacao, ce produit qui représente 15 % du PIB ivoirien et fait vivre près d’un quart de la population.
Comment y faire face ? De plus en plus d’agriculteurs misent sur l’agroforesterie. Pour ce faire, ils plantent des arbres dans les champs. L’idée est de pallier à la dégradation des terres et permettre à la biodiversité de se développer.
Béoua est un village de Guiglo situé à environ 600 kilomètres d’Abidjan, à l’ouest de la Côte d’Ivoire, dans la région du Cavally. Sous une matinée brumeuse de février 2024, la caravane file dans le paysage forestier, bravant les nids de poules sur plusieurs kilomètres de terre rouge. En parcourant les plantations, l’essentiel composé de cacaoyers, dont la fève fait la renommée de la Côte d’Ivoire, le paysage se constitue d’arbustes. Cette nouvelle méthode de culture est de plus en plus adoptée par les agriculteurs dans la zone au regard de la dégradation des sols. “Avant c’était un désert total! Le vent qui décoiffait les maisons. Quand il n’y a plus de bois, la terre devient totalement pauvre. Avec la sécheresse, nous avons tout perdu, ce qui a favorisé la ruée vers la culture de l’hévéa. Mais aujourd’hui , l’agroforesterie nous a permis de renforcer nos productions. Tout va de bon train ”, constate Elvis Gnonséan, 50 ans, agriculteur depuis une trentaine d’années dans la zone.
A l’origine, les zones de plus fortes productions de cacao étaient l’Est et le Centre-est ivoirien. Ces régions formaient “la boucle du cacao”. Mais avec les changements climatiques et l’appauvrissement des sols, la boucle s’est déplacée à l’ouest du pays, sous la poussée de flux migratoires. Ainsi, la zone principale actuelle de production de cacao est le Centre-ouest, avec 36% de la production nationale.
En Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest, la production de cacao constitue la principale cause de déforestation, facteur majeur de la dégradation des terres dans le pays. Selon un rapport de Trase, entre 2000 et 2019, 2,4 millions d’hectares de forêt ont été remplacés par des plantations de cacao et cela représente 45 % de la déforestation totale et de la dégradation des forêts du pays. “En 2019, 25 % de la superficie utilisée pour la production de cacao en Côte d’Ivoire se situait dans des zones « protégées » et des réserves forestières, telles que répertoriées par la législation environnementale locale. La faible gouvernance signifie que ces lois sont rarement appliquées », précise le document.
La cacaoculture génère 70% des recettes d’exportation et emploie les deux tiers de la population active. Une performance économique due à une agriculture de rente basée sur les forêts naturelles. A l’heure où l’Union européenne a voté l’interdiction d’importer des produits issus de la déforestation, dont le cacao, la Côte d’Ivoire, pour pallier aux pertes forestières, a institué une nouvelle politique forestière en vue du recouvrement de 3 millions d’hectares de forêt à l’horizon 2030, pour un montant de 616 milliards de FCFA. Cette stratégie consiste à inciter de plus en plus les agriculteurs à l’agroforesterie, une pratique qui associe la plantation d’arbres à une culture agricole, de sorte à faciliter la reforestation et à préserver la durabilité des terres.
Réconcilier cacao et forêt
A Béoua, l’opération d’initiation à l’agroforesterie a démarré en 2020 par la distribution de plants aux agriculteurs. Ces plants sont pour la plupart, distribués par les coopératives et l’Anader ( NDLR: Agence nationale d’Appui au Développement Rural). Elvis et ses pairs cultivateurs, en plus de recevoir les plants, ont été formés durant trois jours à la conservation des pépinières dans leurs espaces et à la pratique de l’agroforesterie qui apparaît aujourd’hui comme un nouvel espoir pour leur assurer des revenus en reconstituant les forêts. “Il y a des coopératives, et l’anader qui passent dans les villages pour donner du bois que nous plantons dans nos parcelles de cacao. Beaucoup ont commencé à prendre le sujet en considération à cause de la forte chaleur qu’il a fait l’année passée et cette année”, soutient-il. Pour chaque agriculteur, le nombre de plants offerts, sans appui financier, est fonction de la superficie des terres, soit 30 arbres par hectare.
Après quelques mois de plantation , les coopératives passent pour le contrôle et le recensement des plants . “Dans mon champ, je compte une soixantaine de gros bois. Ceux qui sont dans la culture du cacao ont compris que ces arbres sont importants. Avec le nouveau code forestier que les coopératives ont expliqué, il est conseillé de mettre les bois dans les champs”, poursuit Elvis tout heureux. ”
l’Agence Nationale d’Appui au Développement Rural (ANADER) supervise la mise en œuvre de l’agroforesterie dans la zone ouest de la Côte d’Ivoire. A Guiglo, 110 376 plants d’espèces composées de framiré, fraké, cedrella, l’acajou et de niangon ont été distribués à 1544 producteurs. Selon Antoine Yao, le responsable de l’Anader régional de Guiglo, l’agence a travaillé avec trois coopératives identifiées . “Les membres de ces coopératives ont reçu des plants d’essences forestières fournis par le Conseil Café Cacao et une entreprise afin de les planter sur leurs terres.”fait-il savoir. En Côte d’Ivoire, le projet de reforestation par l’agroforesterie concerne les zones de production cacaoyère.
En effet, La Norme Africaine de la série ARS 1000 fait obligation aux producteurs sur le territoire national d’intégrer l’agroforesterie dans leur pratique culturale. Pour les y encourager, la radio et la télévision nationale diffusent des spots de sensibilisation sur leur canal. En 2024, les producteurs des départements de Guiglo et Tai recevront environ 101.000 plants.
Agroforesterie, comment ça marche?
L’ambition de l’agroforesterie est de concilier sylviculture et agriculture. Plantées autour des cacaoyers, des espèces d’essences vont pousser à étendre leurs racines plus en profondeur pour fertiliser le sol. Selon les experts, chaque plante introduite dans les cultures a un impact sanitaire sur l’environnement, en raison des cortèges de parasites et de ravageurs qu’elle transporte. Rencontré, le professeur Kouamé N’guessan François, botaniste et chercheur en biologie végétale à l’université Alassane Ouattara de Bouaké explique que les espèces d’arbres insérées dans les champs doivent répondre à des besoins spécifiques pour obtenir de meilleurs résultats. “Il faut savoir s’y prendre. Certaines plantes ne supportent pas la pleine lumière. Il y en a d’autres qui ne supportent pas l’ombre. Ce qu’il faut éviter, c’est de planter les arbres qui ont pratiquement les mêmes exigences en sol. Dans une plantation d’anacardiers, ce n’est pas possible de planter des manguiers, parce que les deux arbres ont pratiquement les mêmes besoins , précise-t-il.
Rendement bien supérieur
Dans le département de Guiglo, les résultats de l’agroforesterie sont déjà visibles. Les arbres plantés , grandissent et favorisent la reproduction des champs. Les agriculteurs rencontrés dans la circonscription se réjouissent de l’évolution des plants d’arbres, associés aux récoltes florissantes de leurs prémices, et ce grâce aux cultures forestières. “ De 2020 à 2024, il y a vraiment eu une amélioration. Ceux qui sont dans le cacao, ont compris que ces bois peuvent servir. Avec le nouveau code forestier, il est conseillé de mettre les bois dans les champs”, explique Elvis Gnonséan. Dorénavant, les récoltes donnent l’allure de durabilité. A long terme, les planteurs projettent de meilleurs rendements. “Avec l’agroforesterie, certains ont commencé à cueillir le cacao, avant c’était rare de voir cela. D’ici à 2025-2026-2027, on peut revenir à de meilleurs rendements comme dans les années 90”, espère l’agriculteur.
A Béoua, beaucoup d’agriculteurs ont compris le rôle important que joue l’agroforesterie dans la préservation des cultures. Augustin Kasieho, la soixantaine, retraité et chef de ce village qui compte environ 17.000 âmes est formel :“ avec cette pratique, la productivité de mes parcelles s’est nettement améliorée. Avant, c’était un désert total. Mais aujourd’hui avec l’agroforesterie, nous constatons une amélioration de la fertilité des sols et donc de la productivité. Depuis, nous avons vu nos terres renforcées.”
L’agroforesterie profite également à l’environnement. Au cours de ses recherches dans cette zone forestière, le professeur Kouamé N’guessan François, a découvert une diversité des plantes qui ont contribué à la reforestation naturelle des terres. “Il y a des plantes que nos parents n’ont jamais coupé, toutes ces plantes ont contribué à l’agroforesterie, en plus de cela, ils introduisent d’autres plantes” fait-il savoir.
Pas de solution miracle
Malgré tous les succès, la mise en œuvre de l’agroforesterie reste limitée. A ce propos, le Docteur Ouattara Doudjo, biologiste, spécialiste en Foresterie et agroforesterie, enseignant chercheur à l’université Nangui Abrogoua et chercheur associé au centre Suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire précise précise qu’ : “une parcelle agroforestière ne peut remplacer une forêt que ce soit d’un point de vue physionomique, floristique ou fonctionnel. Les forêts bien conservées, étant des écosystèmes bien plus complexes et plus riches en biodiversité. Les limites de l’agroforesterie en tant que solution à la dégradation des terres sont essentiellement liées au temps et à l’option choisie.” L’expert constate avec regret que l’intégration des arbres dans les systèmes agricoles bien souvent n’obéit pas aux besoins de lutte contre la dégradation des terres.
Dès lors, la sélection d’arbres appropriés reste un premier défi majeur tout autant que la gestion de leur croissance et leur entretien. “Cette complexité dans la gestion est en soi une limite. De même, les bénéfices en termes de conservation des sols et de restauration des terres peuvent prendre du temps à se manifester. En effet, les arbres doivent souvent atteindre une certaine maturité pour fournir pleinement leurs avantages (feuillages pour soutenir la litière et éviter l’érosion, etc.) Dans ce contexte, l’association d’espèces herbacées ou lianescentes à cycle court (plantes de couverture, légumineuses, etc.) est fortement encouragée chez les agriculteurs ” ajoute Docteur Ouattara Doudjo. A en croire le spécialiste en agroforesterie, une troisième limite liée à “la compétition pour les ressources” est à relever. D’après ses explications, les arbres et les cultures peuvent entrer en compétition pour l’eau, la lumière et les nutriments et en tant que tel, une mauvaise gestion des ressources peut conduire à une diminution de la productivité agricole.
« Les systèmes agroforestiers sont plus résilients que les systèmes agricoles conventionnels. Toutefois, cela ne les immunise pas contre les sécheresses ou les événements météorologiques extrêmes (feux, chutes des arbres, mort des arbres, etc.) » conclut Docteur Ouattara Doudjo.
L’engagement des organisations…
En Côte d’Ivoire, l’initiative pour le développement communautaire et la conservation de la forêt (IDEF) travaille depuis plusieurs années pour la défense des droits de la communauté agricole et lutte contre l’exploitation forestière. La mission première de l’organisation est d’initier des programmes de formations à l’agroforesterie. “Dans notre approche nous faisons en sorte qu’il y ait des plantes qui poussent naturellement dans une zone. Si nous nous trouvons dans une zone, où les communautés réclament l’akpi ( NDLR: Ricinodendron heudelotii de son nom scientifique) qui ne pousse pas naturellement, nous leur offrons des pépinières, en expliquant les avantages de cette essence, notamment en terme de protection contre les effets du changement climatique et de durabilité agricole”, explique le directeur exécutif, Bakary Traoré.
Au cours des tournées d’échanges et de sensibilisation, les responsables de l’organisation incitent les agriculteurs à introduire dans leurs champs, un arbre dont ils ressentent le besoin, mais en s’assurant de créer les conditions pour sa régénération naturelle. Ainsi à Diafla, à plus de 400 km à l’ouest de la Côte d’Ivoire, près de 2000 planteurs qui pratiquent concrètement l’agroforesterie ont tous reçus des plants. “Avant, les agriculteurs pratiquaient déjà l’agroforesterie. Par ailleurs, aujourd’hui les champs ne donnent plus de bonnes récoltes. Aussi, les terres deviennent de moins en moins fertiles à cause de l’utilisation des engrais. On se retrouve dans une situation climatique catastrophique et l’essentiel est de revenir à cette pratique d’antan pour résister au réchauffement climatique”, conseille monsieur Bakary Traoré.
Le modèle d’encouragement à la pratique agroforestière en Côte d’Ivoire consiste, généralement, à payer les agriculteurs pour introduire des arbres dans les champs. Mais pour le directeur exécutif de l’IDEF, “cette approche n’est pas durable, si le paysan veut bénéficier du projet, ce n’est pas toujours qu’il aura l’argent pour faire appel.” C’est pourquoi dans ses perspectives, l’organisation en termes d’agroforesterie, prévoit l’accompagnement des coopératives pour impacter plus de 8000 producteurs. Monsieur Bakary Traoré poursuit: “Nous avons à l’idée d’encourager la foresterie communautaire. Nos parents connaissent tellement l’importance de la forêt qu’ils ont créé des forêts sacrées pour avoir des petits îlots qui favorisent des microclimats autour du village. On essaie de mobiliser les ressources pour promouvoir le cacao durable en Côte d’Ivoire. C’est l’enjeu. A ce propos, il nous faut créer les conditions climatiques adéquates. Et ce, grâce à la culture agroforestière”.
D’autres réponses africaines
Les terres arides constituent 45 % de la surface de l’Afrique selon la Banque africaine de développement. Aussi, trois quarts des terres productives en Afrique sont dégradées. La lutte contre la dégradation des terres, la désertification et l’atténuation des effets de la sécheresse sont indispensables à la croissance économique et au progrès social. A l’instar de la pratique agroforestière en Côte d’Ivoire, ailleurs en Afrique de l’ouest, les paysans utilisent d’autres méthodes ancestrales pour préserver les terres. A juste titre, la demi-lune au Burkina Faso en est l’exemple. La demi-lune ou l’art de capter la pluie est une technique agricole développée notamment dans la zone nord et le centre nord du pays. Dans ces parties du pays, il n’ y a pas assez d’eau pour lutter contre l’érosion et la dégradation des sols.
Cette méthode consiste à créer de petits étangs semi-circulaires pour retenir une importante quantité d’eau de pluie et permettre une meilleure infiltration dans le sol. Ainsi, les nappes phréatiques sont rechargées et une source d’humidité est fournie aux plantes pendant les périodes sèches. Résultat, la terre devient plus fertile et les agriculteurs constatent une amélioration de la production qui se veut saine, sans fertilisants chimiques et traitements phytosanitaires.
Au Sénégal, les agriculteurs apprécient particulièrement une solution à la dégradation des terres. Il s’agit du chaulage des sols, une technique agricole qui consiste à apporter des amendements calciques ou calco-magnésiens à un sol pour corriger un pH trop acide car la trop grande acidité d’un sol l’empêche de libérer ses nutriments pour nourrir les plantes. Pour ce faire, avec le soutien d’une ONG, l’Union TAWFEKH OSCAR, une organisation qui regroupe 26 associations de producteurs dans le bassin arachidier au Sénégal a développé des engrais biologiques, à base de calcaire, pour augmenter la fertilité des sols.
Cette méthode permet de maintenir un taux d’humidité favorable à l’activité de la vie microbactérienne et améliore la structure du sol. Résultat, les agriculteurs de Sine saloum, à plus de 200 km de Dakar, au centre du Sénégal, produisent de manière durable tout en conservant des sols. Plusieurs d’entre eux ont doublé leur production passant de 4 hectares à 8 hectares l’année.
Delores Pie
lemediacitoyen.com
Enquête réalisée avec le soutien de la CENOZO dans le cadre du projet « Renforcer le journalisme de solutions sur la santé et le développement durable »
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