Côte d’Ivoire/Education : La précarité persistante dans les écoles publiques

      L’école publique a longtemps été le pilier du système éducatif ivoirien,ayant contribué à former de nombreux cadres. Cependant, sa réputation prestigieuse est aujourd’hui fragilisée par de nombreux défis. Les salles de classe surpeuplées, avec des effectifs dépassant 80 élèves, sont devenues monnaie courante dans les établissements publics en Côte d’Ivoire. Aucun cycle n’y échappe : du primaire au secondaire, les élèves s’agglutinent dans les classes sous une chaleur écrasante. Les insuffisances, nombreuses et criantes, rendent précaires les conditions d’apprentissage.

      La rentrée scolaire 2024-2025 a été fixée par les autorités éducatives au 9 septembre 2024. Pour cette rentrée, Madame Kablan a de nouveau inscrit son fils dans la seule école primaire publique de son quartier. « J’ai inscrit mon fils dans cette école non pas par choix, mais parce que c’est la seule option qui s’offre à moi », explique-t-elle. Évoquant sa situation modeste, elle se dit peinée de voir son fils coincé dans une classe hyper bondée, partageant son siège avec deux autres élèves.

Paterne Koffi, étudiant et ancien élève au lycée Moderne de Béoumi, se remémore : « L’apprentissage était difficile car nous étions très nombreux en classe. Nous avions du mal à écouter et à nous concentrer. Les tables-bancs étaient insuffisants ; la promiscuité incitait certains élèves à tricher. »

Monsieur Klé Blé, enseignant depuis 17 ans, témoigne : « Je ne suis plus touché par le nombre pléthorique d’élèves dans les écoles. J’ai fini par l’accepter comme une situation commune aux pays du tiers monde, où il y a un manque criant d’infrastructures de base. » Au lycée Classique de garçons de Bingerville, où j’enseigne, précise-t-il, les élèves s’asseyent à trois sur un banc prévu pour deux.

Ces situations décrites illustrent les réalités de nombreux établissements publics en Côte d’Ivoire. Élèves, parents et enseignants, tous impuissants face à ces conditions difficiles, en sont résignés.

Les écoles publiques sont très fréquentées en Côte d’Ivoire.  Selon les estimations du ministère de L’Éducation nationale (MENA) au cours de l’année 2023-2024 sur 4385 213 écoliers enregistrés 79,20 % fréquentent les écoles publiques. Elles sont financées par les fonds de l’État et reposent sur les principes de gratuité, de laïcité et d’égalité. Le système de gratuité constitue un facteur incitatif qui accroît la demande et augmente le niveau d’affluence. Au primaire, les élèves sont exemptés des frais de scolarité. I0. Au secondaire, ils versent une somme forfaitaire de 6 000 F CFA. Concernant les fournitures scolaires, l’État distribue gratuitement chaque année des kits scolaires aux élèves du primaire. Pour l’année scolaire en cours un total de 4 116 957 kits sera distribué aux élèves des établissements primaires publics, selon Mariatou Koné, ministre de l’Éducation nationale. Cependant, malgré les efforts du gouvernement, les conditions d’apprentissage restent inchangées. Qu’en est-il de l’insuffisance des infrastructures et de ses implications ?

Insuffisance d’ infrastructures scolaires

    Les établissements publics de Côte d’Ivoire souffrent d’une insuffisance d’infrastructures de base : les salles de classe sont inadéquates, les sanitaires sont quasi inexistants et mal entretenus, et l’inaccessibilité à l’eau potable rend l’environnement d’apprentissage difficile.

De plus, le ratio d’écoles publiques par zone reste faible, obligeant les élèves à parcourir de longues distances pour rejoindre leurs établissements, ce qui constitue un frein à la ponctualité en classe. C’est le cas de Kouassi Grâce, élève en classe de 4ème, qui doit parcourir près de 5 km pour se rendre à l’école. « Je quitte la maison tôt, mais j’arrive le plus souvent en retard, lorsque le premier cours est presque terminé », a-t-elle regretté.

En 2021-2022, d’après les données statistiques du ministère de l’Éducation nationale (MENA), la Côte d’Ivoire comptait, dans le secteur public, 14 874 écoles primaires, 6 272 établissements secondaires et 2 437 écoles préscolaires. Bien que ces chiffres s’améliorent chaque année, ils demeurent insuffisants face à une forte demande éducative.

Par ailleurs, certains établissements en état de vétusté nécessitent des réhabilitations urgentes. C’est le cas du Lycée Moderne de Bonoua, dont le MENA a annoncé en septembre la réhabilitation pour un coût global de 425 millions de F CFA. Il est important de noter que l’insuffisance d’infrastructures scolaires n’est pas spécifique à la zone d’Abidjan ; plusieurs localités de l’intérieur du pays sont confrontées à cette problématique.

Pour remédier à cette situation et rapprocher les élèves des écoles, l’État s’est engagé depuis 2015 à réaliser des collèges de proximité dans les zones reculées du pays.

De plus, les états Généraux de l’Education nationale et de l’alphabétisation de 2021 prévoient la construction de nouvelles infrastructures pour désengorger les classes.

Mais quelles répercussions cette précarité a-t-elle sur la qualité de l’enseignement et le rendement scolaire ?

De la qualité de l’enseignement et du rendement scolaire

     Les conditions d’enseignement et d’apprentissage du public laissent à désirer. Ils se répercutent sur le rendement scolaire. Lago Séri Pierre, professeur de lettres modernes, fustige le fait que « la formation est aujourd’hui au rabais à cause du surpeuplement des classes ». Selon lui, les enseignants réalisent moins d’évaluations en raison du nombre d’élèves et de copies à corriger. « Il est impossible de faire participer tous les élèves. Certains d’entre eux, lents à la compréhension des notions, sont à la traîne », a expliqué le professeur Lago. Pour le professeur Klé Blé, les bavardages intempestifs empêchent le bon déroulement des cours ; il est difficile de maintenir le silence dans une classe de plus de 80 élèves. Un tel environnement, d’après lui, ne favorise pas un bon rendement, tant chez l’enseignant que chez les apprenants. « Il faut parler plus fort pour se faire entendre. J’ai cumulé les migraines et les maux de gorge durant l’année scolaire précédente », a déploré Madame Kouakré, enseignante d’une classe de CE2.

De plus, ces acteurs soulignent le manque de matériels didactiques indispensables pour un enseignement de qualité.

Par ailleurs, il est à noter que le nombre d’enseignants s’avère faible, malgré les recrutements massifs. Certains demandent également des réaffectations lorsqu’ils sont envoyés dans des zones reculées.

Des voix s’élèvent de plus en plus pour réclamer des primes trimestrielles visant à motiver les enseignants, dont l’engagement est en baisse, tout en améliorant leur niveau de vie. Il est à noter une réelle volonté politique de la part du gouvernement d’améliorer le système éducatif, actuellement confronté à de nombreux défis.

Contacté via son service de communication pour des éclaircissements, le ministère de l’Éducation nationale n’a pas fourni de réponse jusqu’à la publication de cet article.

Rendre le système éducatif performant est l’un des objectifs de développement durable. Cela doit inéluctablement inclure certains fondamentaux : l’accès à l’éducation, la qualité de l’enseignement, la mise en place d’infrastructures de qualité et des conditions d’apprentissage optimales en sont des prérequis.

 

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Victoire Kouamé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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