Côte d’Ivoire : les misères du foot féminin (Enquête)

Joueuses de Football
Inégalités dans les salaires, les indemnités, les primes et la prise en charge des blessures. Les footballeuses ivoiriennes, en club comme en sélection nationale, s’estiment peu considérées par rapport à leurs homologues masculins. (photomontage-Ouestaf-News à partir de la banque d'images de la FiF)

   Le Média Citoyen  (en collaboration avec OuestafNews – Sénégal) – La Côte d’Ivoire a été sacrée championne d’Afrique le 11 février 2024 à l’issue de 34e édition de la coupe d’Afrique des nations (Can) qu’elle a abritée. Les joueurs et les membres du staff de l’entraineur intérimaire, Emerse Faé, ont été vachement récompensés par la République. Derrière ce sacre et ces fastes du football masculin ivoirien, se cache la misère de la même discipline en version féminine.

    Que ce soit dans les salaires ou les conditions de travail, les actrices du football féminin s’estiment peu considérées. En sélections nationales comme en clubs, les inégalités dans les traitements sont criardes entre garçons et filles.

    Mélissa Sika, la trentaine révolue, ex-footballeuse internationale ivoirienne de 2015 à 2016 se souvient toujours des « injustices » vécues au sein de la sélection nationale. « Nos primes de matchs étaient de 3000 FCFA pour une victoire et de 2000 FCFA pour un match nul », révèle l’ex-joueuse. Pourtant, rouspète l’ancienne attaquante de pointe des « Eléphantes », « comme les garçons, nous portions les mêmes couleurs, jouions 90 minutes et dépensions la même énergie ».

    Ange Chiepo ajoute que dans « les clubs, les footballeurs en sélection nationale  gagnent mensuellement des centaines de milliers de FCFA et des millions de FCFA en primes ». Au même moment, « les footballeuses, elles, ne perçoivent que la prime de transport », déplore cette ex-attaquante de la sélection féminine de 2006 à 2015, aujourd’hui employée dans une société de transport local.

    Cynthia Djohoré, témoigne quant à elle que, comparées à la situation de 2015 et 2016 décrite par Mélissa Sika, les primes de match en sélection ont connu une amélioration. « Les primes de victoire en sélection sont actuellement de 500.000 FCFA pour la victoire et 250.000 FCFA pour le match nul », affirme celle qui était la gardienne de but de la sélection ivoirienne de 2012 à 2024.

    Toutefois, les primes de sélection réservées aux filles restent « toujours dérisoires ». « Les filles n’ont pas de prime de sélection. Elles ne reçoivent que 5000 FCFA comme prime de transport par jour d’entrainement et 10.000 FCFA de prime de transport après chaque voyage », ajoute Cynthia Djohoré sociétaire de l’Athletico Club de Yopougon à Abidjan.

    Début février 2024, en marge des phases finales de la 34e édition de la Coupe d’Afrique des Nations, la polémique sur les conditions salariales des footballeuses s’était davantage amplifiée. Des ex-footballeuses ivoiriennes ainsi que d’autres en activité ont fortement décrié leur souffrance.

    Cynthia Djohoré a été l’une des figures de proue de ce mouvement de  dénonciation à travers les médias et les réseaux sociaux, pendant la Can 2023. Elle a été écartée de la sélection en mars 2024.

Cinthyia Djohoré, Footballeuse Ivoirienne
Cynthia Djohoré, gardienne de but des « Eléphantes » depuis 2012, a été écartée de la sélection nationale en mars 2024, après avoir pris part à une fronde médiatique dénonçant les conditions et traitements infligés aux footballeuses ivoiriennes.

    Réagissant à cette fronde médiatique, Salimata Coulibaly, membre de la commission féminine de la Fédération ivoirienne de Football (Fif) a reconnu  sur sa page Facebook, l’insuffisance des primes de match et de transport en sélection nationale féminine.

    Pour améliorer cette situation, la Fédération ivoirienne de football a revu à la hausse les subventions allouées aux clubs depuis l’avènement du nouveau comité exécutif en juin 2022. Les clubs de première division masculins passent de 75 millions à 100 millions de FCFA tandis que les clubs féminins de première division, de 2,5 millions de F CFA passent à dix millions de F CFA.

    Malgré cette augmentation, la subvention est jugée très faible par les actrices du football féminin car elles la trouvent dix fois moins que celle allouée aux hommes.

    En clubs, les inégalités de traitement semblent pires qu’en sélection. Selon Alexandre Coulibaly alias Dinho, ex sociétaire de l’As Denguelé aujourd’hui  à Mouna Fc, club de ligue 1, le salaire mensuel des footballeurs de première division ivoirienne est de l’ordre de 160.000 FCFA. Il faut ajouter à cela des primes de match qui évoluent selon les enjeux. Pour la ligue 2, il indique que le salaire est de 100.000 FCFA.

    Pour ce qui concerne les footballeuses, Dinho ne précise pas les montants des salaires mais les trouve  « très minimes ». Il explique cela par le fait que  « les dirigeants de clubs arrivent à convaincre les footballeuses d’accepter ce qu’ils leur proposent ».

    Plus précise, Cynthia Djohoré, sociétaire de l’Athletico Club de Yopougon à Abidjan, témoigne : « certains clubs ne paient qu’une prime de transport mensuelle de 60.000 FCFA aux joueuses alors que d’autres n’arrivent même pas à honorer cela ».

          Un statut d’amateur préjudiciable

    Jugeant la paie des joueuses assez « dérisoire », Jeanne Gnagbo, l’ex-capitaine de la sélection féminine de 2002 à 2014, tente d’expliquer cette situation : « le football féminin en Côte d’Ivoire souffre d’un manque de visibilité. L’essentiel des investissements publics et privés est dirigé vers le football masculin ».

    Selon Jeanne Gnagbo, les championnats féminins manquent de visibilité parce qu’ils n’ont pas de sponsors et ne bénéficient pas de publicité. Il faut ajouter à cela la programmation des matchs à 10 heures le matin.  Tout cela justifie le manque d’affluence dans les tribunes du football féminin, selon elle.

    Élie Péra, vice-présidente de la commission féminine de la Fédération ivoirienne de football et Armand Gohourou, directeur  Exécutif de la même instance, précisent que le football féminin en Côte d’ivoire est logé dans la catégorie de football  amateur. D’après Mme Péra c’est la raison pour laquelle le foot féminin ne bénéficie pas de droit télé et n’a ni sponsors,  ni partenaires pouvant permettre de payer des salaires mensuels aux actrices.

    En plus d’être mal payées, les footballeuses souffrent aussi de négligence ou d’absence de suivi médical quand elles se blessent. Ex-sociétaire du club Les onze sœurs de Gagnoa, de 2003 à 2021, Doukoury  Charlène s’est plainte de cette situation en avril 2022.

     Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, la joueuse plus connue sous le nom de « Zola la magie » témoigne : « je jouais pour le club les onze sœurs de Gagnoa. J’ai arrêté à cause d’une blessure au genou ayant occasionné un début d’arthrose, je n’ai bénéficié d’aucun suivi médical ».

    A l’instar de Doukoury Charlène, plusieurs ex-footballeuses ont raccroché les crampons à la suite de blessures mal ou peu prises en charge. On peut citer l’ex-capitaine Jeanne Gnagbo. Elle aussi a dû interrompre sa carrière footballistique pour cause de blessure. « Je n’ai bénéficié d’aucun suivi médical quand j’ai été blessée. J’ai été obligée de mettre un terme à ma carrière. »

    Selon différents acteurs et actrices du football, les misères du foot féminin, notamment les inégalités salariales, tiennent en partie à des politiques  institutionnelles en vigueur dans la discipline.

    A preuve, en octobre 2023, la sélection féminine ivoirienne a été contrainte de déclarer forfait aux éliminatoires des jeux olympiques de Paris 2024. La Fif a expliqué dans un communiqué que ce forfait était lié au « manque de financement ». Cela avait fait un grand bruit dans l’opinion publique qui a vu là une discrimination à l’égard du football féminin.

          Pas une spécificité ivoirienne

    Les inégalités de traitements entre les acteurs du football masculin et féminin n’est pas une spécificité ivoirienne. C’est pourquoi, la Confédération africaine de Football (Caf), dans un souci d’égalité et de promotion du genre, exige depuis juin 2021 la création de sections féminines au sein des clubs de première et de seconde division. Ce, conformément à l’article 27 du règlement sur les licences des clubs masculins.

 « Cette exigence participe à la vulgarisation du football féminin et a déjà permis d’avoir plus de joueuses licenciées », souligne Lakoun Ouattara organisateur du tournoi féminin appelé « Mousso foot ».

« Mousso foot » est un tournoi de football féminin qui se joue à Abidjan et qui met en compétition plusieurs équipes féminines du pays.

    A la faveur de la Can organisée entre janvier –février 2024 en Côte d’Ivoire, la Confédération africaine de Football (Caf) a indiqué avoir engrangé des bénéfices évalués à 66 millions de dollars soit 40 milliards de FCFA. L’instance panafricaine de football a dit avoir décidé d’attribuer une enveloppe de 12 milliards de FCFA à la Côte d’Ivoire pour le développement du football féminin. Ce qui sonne comme une note d’espoir pour les actrices du football féminin.

    Ailleurs dans le monde, les disparités sont les mêmes. Aux Etats-Unis, selon le site Ouest-france.fr, dans un article publié le 6 novembre 2019, intitulé « Contre les inégalités hommes-femmes, les footballeuses américaines saisissent la justice », les joueuses de l’équipe nationale féminine avec à leur tête la capitaine Alex Morgan, ont porté plainte contre leur fédération pour « discrimination sexiste généralisée », et réclamé un traitement salarial égal à celui de leurs homologues masculins.

    Dans un article publié le 9 août 2023, intitulé « Coupe du monde féminine 2023 : les primes des joueuses de football en augmentation, mais toujours loin de celles des hommes », le journal français Le Monde faisait état d’une augmentation de 17 fois plus qu’en 2007, des primes des joueuses de football lors de l’édition 2023.

Ces primes attribuées par la fédération internationale de football Association (Fifa) en fonction du parcours dans le tournoi avaient atteint les 100 millions euros, soit 65 milliards de FCFA. Malgré cette hausse, les primes allouées aux footballeuses sont largement en deçà de celles reversées aux hommes qui étaient de 402 millions d’euros en 2022, soit 263 milliards de FCFA.

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